Le surconcient

« L’excès de conscience est une maladie » ; et cette maladie insidieuse peut contraindre l’homme à se terrer dans les méandres d’un souterrain mental, résultant de son incapacité à éprouver de la joie devant les choses naturelles, c’est-à-dire d’un ennui profond du fait de leur évidence. L’homme surconscient est une pythie ; sauf que trop bien conscient du destin de Cassandre, il ne s’essaie pas à convaincre le monde de la nécessité du changement, et plutôt s’évertue à se faire accepter d’une société imbuvable, du fait de son impénétrable bêtise. C’est-à-dire que celui-ci ment en permanence : à son entourage par exemple, en faignant accorder de l’intérêt à autre chose que le caractère dont ils sont dépourvus – ils représentent pour lui une source intarissable d’énigmes car ils sont l’incarnation de la réussite, si tant est qu’elle consiste à se complaire dans une condition pré établie par des règles arbitraires, dont la seule conscience mènerait au questionnement, et bientôt à la volonté inaliénable de s’en délivrer. Mais cette volonté ne peut être assouvie ; sinon le monde ne saurait pas aussi parfaitement ordonné, c’est-à-dire aussi parfaitement injuste. Au final, le mensonge le plus violent est celui que le surconscient s’adresse à lui-même. Il consiste à dire qu’une fois la pomme croquée il suffirait de la vomir pour que tout soit oublié, et que la connaissance du bien et du mal est véritablement l’offense ultime qu’un homme se pourrait faire envers son univers et qu’elle requiert pour être réparée, le sacrifice de sa chair. Hors il ne le croit guère. Il sait que la vérité libère. Mais il a su trop tard de quoi : de l’insupportable douleur résultant de l’impuissance des esprits les plus brillants à extirper l’humanité de sa misère. Qu’il lutte contre lui ou contre le monde, sa lutte est vouée à l’échec ; ce qui fait de tout surconscient un hypocrite qui finit par ne plus se supporter car il se trahi en permanence. Dans un monde parfaitement mythomane, la vérité est intenable. Aussi, le souterrain est une la cave aux trésors, protégée par les pièges de la mémoire et les astuces de la réflexion de l’interruption du flux d’une pensée qui se contredit tant et d’autant plus que la paix ne s’est pas faite dans la tête du rat qui s’y terre.

Le suicide, c’est le monde qui le rattrape. Parce que le souterrain n’est pas imperméable : on peut très bien y être rattrapé par un autre alambic en quête de salut ; ce qui permet dans le meilleur des cas de retarder l’inéluctable. Parce que ces placebos ne soulagent que les douleurs minimes et leur cancer fini bientôt par gangréner un labyrinthe trop profond pour que ce monde insoupçonné, que découvre le surconscient, puisse le contenir. Les hommes y sont sources de conflit et les femmes d’illusion : l’illusion que le bas corporel, aussi attrayant soit-il est un plaisir durable et qu’il ne devient pas bientôt aussi fade qu’un pain de mousse, et que tous les savons que les hommes nous passent font autre chose qu’accoler le domaine de la lutte au souterrain ; ou bien (il touche du bois) l’illusion qu’il pourrait « guérir » de son caractère, de son histoire, de sa « maladie du moi » (expression inventée par des médecins friqués pour des bourges égoïstes ayant touché le fond,) repartir croyant voler dans la vase qui concentre la laideur du monde. A d’défaut de trouver l’esprit, le surconscient trouve l’espoir ; c’est un criminel, il a réussi son homicide. Et sa victime qui n’est en fait que la somatisation de son tumulte, le quitte en laissant derrière elle (c’est-à-dire derrière lui) les confessions produites par le souterrain si celui-ci s’avère y avoir trouvé la mort, ou bien, des lettres au monde témoignant de sa lutte, derrière la porte close dudit souterrain.

La solution afin de pacifier le domaine au-delà du souterrain, permettant ainsi à l’homme alambic de réintégrer la société : la prohibition. « L’homme est un loup pour l’homme ». J’y préfère (notamment pour ne pas insulter les loups) la formule, l’homme est un zona pour l’homme. Il est « l’origine de l’inégalité parmi les hommes ». Il s’agit, en effet, de la seule créature à s’être déclarée possesseuse d’un territoire naturel dont elle ne peut physiquement jouir, du fait de la finitude de son existence et de ses capacités. A peine peut-il en jouir par devers d’autres, c’est-à-dire en s’accaparant soit leur existence – en les dépossédant de la liberté de faire valoir leurs droits naturels – soit, et c’est plus souvent le cas, la jouissance qu’ils tirent de l’usage de son bien. Cela parce qu’il n’est en rien question pour lui, non pas d’en céder la possession mais, d’en admettre l’impropriété. Le rendre prohibé c’est comprendre qu’aussi social soit-il, l’homme ne peut se rendre responsable de l’existence d’un autre. Sa volonté de subsister se mue très vite en égoïsme, aussitôt qu’il a plus à gagner de la destruction de son congénère que de leur coopération. Il faut donc, en raison de la nécessité de préserver l’espèce humaine, garantir le cadre d’exercice de sa liberté. Mais surtout pas par lui-même ; par le plus monstrueux des hommes. Parce que le délinquant (délinquant surconscient j’entends bien), sans doute parce qu’il a cure de la survie des hommes et a peut-être même œuvré à en occire plusieurs, ou bien parce qu’il est désintéressé, est juste et droit dans ses jugements, c’est-à-dire en accord avec une anarchie structurée. Conclusion : il faut faire des êtres surconscients les agents prohibiteurs du monde.

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