Eloge de la biture

Monsieur X quittait la scène improvisée quand un moineau – j’entends un sage aux ailes fragiles acquis au culte d’Asaris mais ayant abusé trop longtemps des bienfaits de son breuvage – en pleine biture le retint là. « Nous avons bu avec patience toutes les gouttes de ton discours ; dit le jeune homme. Mais une fois ton gosier vide, tu n’en as descendue aucune. La vérité est dans le vain, cher Monsieur X ; tu fais offense à cette coupe de la tenir ainsi pour aguicher la foule sans que son cru monumental en toi ne coule. Ce dont tu fais un simple outil de ton discours est, loin de là, le plus parfait, le plus concret, le plus certain libérateur des populos. Tu parles aux gens de la vallée avec le ton d’un montagnard, tu élides les choses basses pour te mettre en état de grâce. Monsieur X, ne parle plus, mon vin parle plus fort que toi ! — Et que te dit ton beau breuvage ? — Ainsi s’adresse à moi mon vin : il dit que les mots vulgaires n’apprécient pas les langues sèches ; que nulle note enivrée ne naît d’hommes modérés. L’inspiration à jeun ne marche pas pareil que sa maîtresse oblique ; quand la geste est gênée, la biture la libère. Les hommes pensant et les hommes penchant, les hommes fléchissant et les réfléchissant n’emploient pas en parlant les mêmes expressions ; ils n’ont pas dans leurs textes la même attention aux autres assonances et allitérations qui perturbent la prose des batteurs lyriques. Les poseurs prosaïques ne se font ronds sonneurs que si l’humble musique guidant leur propos va ou trop fort ou trop vite ; alors seulement la raison les rattrape. Mais une folle raison, furieusement habile et curieusement vaine, qui s’éteint aussitôt que craque une brindille à côté de l’artiste emporté par sa plume au ciel des idées fixes, décidé à n’en plus descendre qu’en chutant, c’est-à-dire, tour à tour, se faire ange et démon. — Pour écrire comme cela il faut être bien leste — Être leste et hardi, répondit le jeune homme ; on ne quitte le nid qu’au prix d’une mort certaine. Quand les uns, pourtant non avares en bon mots, s’ankylosent de leurs boniments, nous, les autres, usons de tout morphème aisément. Les petits, les grands, les gros, les bons, nous arrivent indifféremment. De mots ne plaisant guère aux uns à cause de l’horreur qu’insuffle l’insuccès à ceux qui veulent se vendre ou bien se présenter, des termes élevés dans le vernaculaire du vulgaire mais qu’ils prennent soin de mésentendre, de ce bouquet fleuri des garnisons d’ilotes fleurant la farine fraîchement moulue. « Nous !? » Ballonnés par le poids de l’alcool et pourtant si légers, nous élevons aux cieux les outils de nôtre dur labeur, inondés de fierté, déréglés de nos vies campagnardes et célébrant en toute bacchanale, le rosé, le champagne, et tous les dérivés de l’eau vive du fruit de la vigne. » Ce furent les derniers mots de l’homme qui, à force de tanguer, donnait à tous le mal de mer. Il défaillit bientôt, accomplissant sa prophétie.

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